Prévenir une crise de la dette

La soutenabilité de la dette publique ne peut être déterminée avec certitude. Cette colonne présente un indicateur d’alerte précoce pour prédire les crises de la dette souveraine à l’aide d’un cadre de simulation stochastique. Ce qui compte, c’est le risque d’une augmentation significative de la dette publique, plus que l’évolution attendue du niveau de la dette. Un déterminant clé de l’indicateur est la qualité des politiques budgétaires dans le contrôle du budget de l’État en cas de chocs défavorables.
Un aperçu de la viabilité des finances publiques est essentiel pour les décideurs européens et les marchés financiers. Il informe les décisions concernant la nécessité d’une réforme et la détermination de la prime de risque appropriée sur la dette publique. En outre, des finances publiques non viables peuvent entraîner des retombées importantes, ce qui met en évidence la nécessité d’une surveillance budgétaire internationale. Les expériences récentes en Europe soulignent combien il est difficile de prévoir les crises de la dette souveraine, tant en ce qui concerne leur occurrence que leur ampleur; l’évaluation des finances publiques n’est pas une tâche facile.
Il est donc nécessaire de disposer d’un cadre dynamique et prospectif pour évaluer la stabilité des finances publiques à moyen terme. Notre approche implique une simulation stochastique simple et pratique qui intègre la réaction budgétaire des gouvernements aux revers économiques. Le cadre est stylisé et se concentre sur les trois variables clés qui déterminent la dynamique de la dette: le taux d’intérêt, le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) et l’orientation de la politique budgétaire. Des taux d’intérêt plus élevés stimulent la croissance de la dette, tandis que des taux de croissance plus élevés et une plus grande réactivité de la politique budgétaire à la dette contribuent à maintenir la dette sous contrôle.
Les gouvernements contrôlent-ils leur dette?
La réactivité de la politique budgétaire est mesurée par la réduction du déficit public (ou l’augmentation de l’excédent) pour toute augmentation de la dette en euros. Nous appellerons désormais cela la réponse budgétaire. Une réponse budgétaire positive signifie que nous attendons des gouvernements qu’ils prennent des mesures pour réduire le déficit (ou augmenter l’excédent) lorsque le taux d’endettement augmente. Une valeur nulle ou négative indique que les gouvernements ne répondent pas efficacement, ou même manifestent la réaction perverse d’augmenter le déficit lorsque la dette augmente (étiquetée «fatigue budgétaire» par Ghosh et al. 2013). La réactivité de la politique budgétaire – qui reflète la qualité des institutions fiscales et la «culture budgétaire» de chaque pays – a tendance à persister dans le temps.
En combinant la fonction de réponse budgétaire avec un modèle stochastique de taux d’intérêt et de taux de croissance pour chaque pays, nous pouvons simuler l’évolution des finances publiques à moyen terme (voir également Celasun et al.2006 et Budina et Van Wijnbergen 2008 pour une approche similaire) . L’utilisation de simulations multiples donne une distribution des chemins temporels possibles pour les futurs ratios dette publique / PIB. La figure 1 montre l’évolution simulée du Royaume-Uni par rapport au niveau de la dette islandaise (d’après Van Ewijk et al, 2013). La différence frappante entre ces deux graphiques est la dispersion des résultats. La croissance attendue de la dette est plus ou moins similaire, mais l’Islande présente un risque bien plus important de forte augmentation de la dette. La volatilité macroéconomique plus élevée en Islande se traduit par une fourchette beaucoup plus large de niveaux d’endettement futurs plausibles. Cela indique une forte exposition au risque pour l’Islande par rapport au Royaume-Uni.
Un indicateur de la soutenabilité de la dette
Ces simulations indiquent que l’incertitude des résultats est plus importante pour le risque de crise de la dette que l’évolution moyenne de la dette attendue. Cette idée est reflétée dans un indicateur complet «à risque» pour l’évaluation de la politique budgétaire. L’indicateur mesure la mesure dans laquelle les gouvernements contrôlent leurs finances publiques en estimant le risque d’une augmentation importante de la dette dans un avenir proche. Plus précisément, nous prenons la distance entre le 97,5e centile et la médiane après dix ans comme indicateur du risque à la hausse du taux d’endettement. Ainsi, l’indicateur «à risque» mesure l’augmentation possible de la dette qui pourrait survenir avec une probabilité de 2,5% sur un horizon de dix ans.
Notes: niveaux d’endettement et valeurs indicatives en% du PIB.
La première ligne du tableau 1 indique le niveau d’endettement à la fin de 2011. La deuxième ligne indique l’indicateur «à risque» mesurant le risque à la hausse d’une augmentation de la dette à la fin de 2021. L’indicateur «à risque» distingue les pays avec peu aucun souci de viabilité de la dette (États-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique et Allemagne) de pays connaissant de graves problèmes de viabilité de la dette (Italie, Espagne, Portugal, Islande)
Une question intéressante est de savoir comment cet indicateur aurait fonctionné lorsqu’il a été calculé avant la crise actuelle de la dette, par exemple en 2007. La figure 3 présente l’indicateur «à risque» en 2007 et le compare aux perceptions du marché du risque de défaut par pays pendant la période 2009-2012, telle que mesurée par le taux de cinq ans du Credit Default Swap (CDS). Ce graphique indique que l’indicateur «à risque» est capable de faire la distinction entre les pays avec et sans problèmes de soutenabilité de la dette en fonction du risque réel tel que perçu par le marché pendant la crise. Les États-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Belgique présentent un risque négligeable, l’Allemagne et l’Islande présentant un faible risque et l’Italie et l’Espagne étant confrontées à des problèmes de soutenabilité de la dette, tandis que le Portugal est confronté au risque le plus élevé de notre échantillon. Cependant, en 2007, les perceptions du marché ne faisaient pas de distinction entre ces pays: les écarts de CDS étaient alors pratiquement nuls.
Comment utiliser ces indicateurs?
Des indicateurs statiques tels que le montant de la dette publique ou le déficit sont souvent utilisés pour évaluer les finances publiques. Bien que ces paramètres soient simples et sans ambiguïté, ils fournissent peu d’informations sur les incertitudes auxquelles les finances publiques seront confrontées dans les années à venir. De plus, ces indicateurs négligent le rôle du décideur dans le contrôle de la dette publique. À long terme, la Commission européenne utilise des projections à long terme pour évaluer la viabilité des finances publiques dans le contexte du vieillissement de la population. Ces projections sont également essentiellement statiques, car elles tiennent compte des dispositions de politique économique et de l’environnement économique. Il existe de nombreuses preuves que la réactivité de la politique budgétaire aux revers économiques et la qualité des institutions budgétaires sont essentielles à la soutenabilité de la dette.
L’indicateur «à risque» comble cette lacune, bien que certaines mises en garde s’appliquent. Premièrement, l’indicateur se concentre sur le moyen terme et ne fournit pas d’informations sur les événements à court terme – si l’Espagne sera en mesure de renouveler sa dette dans les prochains mois, par exemple. Deuxièmement, la réponse budgétaire mesure comment – sur des périodes de temps moyennes et longues – le gouvernement d’un pays particulier a géré les changements de taille moyenne de la dette. Il ne tient donc pas pleinement compte des récentes réformes institutionnelles introduites pour renforcer la discipline budgétaire. Enfin, le processus économique sous-jacent est modélisé très simplement. Une approche plus structurelle pourrait donner un aperçu des politiques qui pourraient être les meilleures pour éviter les problèmes de durabilité. Notre indicateur «à risque» ne vise pas à remplacer les indicateurs actuels, mais plutôt à compléter les indicateurs de suivi de l’état actuel des finances publiques. La principale contribution de notre indicateur est qu’il souligne l’importance de l’incertitude pour les finances publiques et l’importance des institutions budgétaires appropriées pour faire face à cette incertitude. Cela peut fournir des indications sur l’opportunité ou non pour un pays d’adhérer à une union monétaire. Dans une telle union, il est plus difficile de contrôler la dette publique par des instruments monétaires et de taux de change, et plus de poids est mis sur la qualité des institutions fiscales pour garder les finances publiques sous contrôle.